lundi 9 février 2015

Croque-Monsieur :


Vous avez été nombreux à avoir voté pour Croque-Monsieur lors du 5ième tournoi des nouvellistes. Pour cela et pour vous remercier de suivre mon blog, je vous poste cette nouvelle juste ci-dessous afin que ceux qui n'ont pas pu la lire puissent également en profiter ;)

Nouvelle vraiment à part du recueil Contes et nouvelles fantastique livre I, Croque-Monsieur est une fable sombre avec une petite moral final.

Je vous dis bonne lecture et au mois prochain avec un article actualité ou une autre nouvelle (mais ne faisant pas partie du recueil cette fois).

Croque-Monsieur

A peine eut-il le temps d'appuyer sur le bouton de la sonnette que la porte s'ouvrit. Sur le seuil, se tenait une ravissante créature répondant au doux nom d'Amanda. Ses yeux étaient d'un bleu pétillant de vie que l'on voyait dans si peu de regards à notre époque. Elle attrapa la main du nouveau venu et sans rien dire, l’entraîna au cœur de son antre :
«-Vous êtes quelqu'un de ponctuel, chose rare de nos jours, complimenta la jeune femme une fois que la porte fut renfermée derrière l'homme.
- C'est une qualité qui m'est utile ; la preuve, aujourd'hui avec vous je marque des points », plaisanta l'invité avec un clin d’œil.
L'hôtesse éclata d'un rire qui semblait être une mélopée toute droit sortie des œuvres des plus grands compositeurs. Le nouveau venu portait des lunettes et, pour l'occasion, avait coiffé ses courts cheveux bruns avec du gel et s'était rasé la barbe. Alors qu'en temps normal, il aimait bien se laisser pousser la chevelure et la barbe, cela lui donnait un air d'artiste mélancolique, disait-il.
Le salon, bien que petit, était coquet. On ressentait tout de suite l'influence de la personnalité de la propriétaire. Des classiques de la littérature étaient rangés dans une grande bibliothèque ainsi que quelques livres de philosophie :
« - Je vois déjà que nous avons d'autres points en commun.
- Vous aimez également la littérature ? s'étonna-t-elle. Rassurez-vous, je suis sûre que nous allons très vite trouver d'autres centres d'intérêts qui nous rapprocheront, du moins je le souhaite. Mais asseyez-vous donc, je nous apporte l'apéritif. »
L'homme prit place sur le canapé, les jambes croisées de façon à cacher son malaise devant cette femme qui l'intimidait. Quelques instants plus tard, l'hôtesse revint avec deux verres de vin blanc à la main. Elle en posa un en face de son invité, sur la petite table basse et alla s’installer à côté de lui :
« - Alors, allez-vous m'en apprendre un peu plus sur le mystérieux inconnu qui est assis à mes côtés ?
- Je n'ai malheureusement rien de mystérieux comme vous le dites, expliqua-t-il, je suis un simple biologiste travaillant dans un laboratoire en centre-ville. En dehors de mon métier, j'écris un roman, que je rêve de voir un jour édité. Ma femme m'a quitté depuis cinq ans et je n'ai jamais trouvé la bonne personne pour la remplacer alors j'ai décidé d'utiliser internet afin de faire la connaissance des célibataires dans la région. Et c'est à ce moment-là que vous êtes entrée dans ma vie.
- Oui, nous avons discuté jusqu'à pas d'heure avec nos mobiles, avant de nous rendre compte que nos deux âmes étaient complémentaires sur certains points et identiques sur d'autres ».
La charmante jeune femme se leva pour préparer le repas. Ce n'était pas la première fois qu'elle recevait un homme rencontré via des sites de rencontres. Pour ne pas changer ses habitudes, ce soir également, elle servirait des croque-monsieur.
« - Et vous ?, demanda l'invité confortablement assis sur le sofa. Vous ne m'avez encore presque rien dit sur vous et, je dois bien avouer, je suis impatient de vous connaître.
- Oh !, s'exclama-t-elle. Vous savez, je suis juste une caissière à une supérette du coin qui rêve de trouver un jour son prince charmant, qui viendrait la libérer de sa misérable vie et lui faire découvrir le monde sur le dos de son cheval blanc. Et quelque chose me dit que cela pourrait bien être vous...
- J'ai dû vous faire une sacrée bonne impression alors, se félicita l'homme. Vous n'aviez pas l'intention de m'impressionner avec le dîner ? demanda-t-il en jetant un coup d’œil dans le coin cuisine.
- Vous allez être surpris, dit-elle confiante. Avec un plat des plus simples, je vais vous épater.
- Avec des croque-monsieur ?, demanda-t-il.
- Avec des croque-monsieur, confirma-t-elle.
- Et qu'est-ce qui vous rend si confiante ?, interrogea le gourmet.
- Tout simplement l'ajout de mon ingrédient secret, révéla-t-elle avec une expression intrigante.
- Et quel est-il ?, demanda le biologiste.
- Si vos papilles ne le trouvent pas, vous ne le saurez jamais, car je n'ai pas pour habitude de donner ma recette. Tenez votre assiette », dit-elle en lui tendant le couvert. 
Après avoir bu une dernière gorgée du délicieux vin blanc servi par son hôtesse, le biologiste attaqua aussitôt le dîner. La première bouchée fut comme une révélation ; jamais il n'avait mangé un croque-monsieur aussi délicieux. A croire que ce mets était tombé de l'Olympe pour atterrir sur la terre des mortels. D’ailleurs, celle qui l'avait confectionné n'était-elle pas une déesse ? On dit que le goût d'un plat se fait ressentir uniquement lors de la première bouchée et que les suivantes ne sont que pure gourmandise. Cela était complètement erroné avec ce fabuleux dîner. Il était vraiment impossible de ressentir une telle sensation de plaisir. C'était comme si on était transporté vers un monde meilleur, et dont nul ne voudrait repartir. Malheureusement, son voyage ne serait que de courte durée car il ne lui restait plus qu'une bouchée. L'homme de science prit le morceau restant dans ses mains, prêt à le porter à sa bouche mais quelque chose l'en empêcha. Voulait-il revenir dans le monde réel ? Dans quelques secondes, tout prendrait fin. Et contre toute attente, il engloutit la part qui restait dans son assiette. C'est un peu bête, pensa-t-il, que toutes ces sensations me soient données par un plat aussi simple que le Croque-Monsieur.
Le biologiste, toujours surpris, regarda la cuisinière d'un air si ahuri que cette dernière ne put s'empêcher de rire aux éclats :

« - Ce...c'était..., bafouilla-t-il.

- Fabuleux, divin, grandiose, magnifique, splendide ? compléta la femme de la maison avec un air amusé.
- Plus ! C'était tout cela à la fois !
- Oui, chaque fois on me le répète, expliqua-t-elle. Cela est dû à mon « ingrédient-mystérieux ».
- Et vous ne voulez toujours pas me révéler sa nature ?
- Ni maintenant, ni plus tard », prévint-elle.
L'homme se rapprocha de son interlocutrice, jusqu'à pouvoir sentir son délicieux parfum. Ne ressemblait-il pas à l'odeur du mets qu'il venait de déguster ? Sa peau aurait-elle son goût ? Il se rapprocha toujours plus près, à un tel point qu'il pouvait entendre les battements du cœur de la sublime créature qui se tenait à seulement quelques centimètres de lui. D'ailleurs, n'avait-elle pas redoublé de beauté depuis qu'il avait terminé son Croque-Monsieur ? Contre toute attente, elle ne le repoussa pas, au contraire, elle l'attira tout contre elle en l’enlaçant de ses bras sensuels.
Ainsi logé si près d'elle, le biologiste ressentait un sentiment quasiment équivalent à celui qu'il avait eu lors de la dégustation de son plat. Il l'embrassa doucement et pinça ses lèvres pulpeuses avec ses dents. Ce geste coquin fit sourire la femme qui avait quitté son rang de mortelle pour atteindre celui de divinité aux yeux de l'homme. Elle déboutonna la chemise de son amant, tout en caressant son torse viril. En réponse, celui-ci passa ses mains sous le bustier de la femme, de façon à ce que ses mains puissent toucher sa peau brûlante comme des croque-monsieur tout droit sortis du four. Il défit ses vêtements afin de pouvoir la caresser en toute liberté. Le biologiste était sous le charme de la femme sans avoir vraiment la pleine conscience de ce fait. Tout ce qui comptait désormais à ses yeux était de revivre les mêmes sensations qu'il avait ressenties un peu plus tôt avec le Croque-Monsieur et c'était bel et bien le cas.
Allongée sur le canapé, tandis que son amant la couvrait de milliers de baisers avec une passion brûlante, la femme sortit de sa cachette un énorme couteau de cuisine qu'elle enfonça dans le dos de l'homme de science. Celui-ci lâcha un hurlement qui fut aussitôt étouffé par le baiser de la veuve noire. Elle enfonça sa langue au plus profond de sa bouche afin qu'il ne puisse pas alerter le voisinage. L'homme ne chercha pas à se débattre, malgré la souffrance et la peur qu'il ressentait ; il ne pouvait se détacher de cette femme qu'il aimait plus que tout : il était pris au piège. Il ne comprenait pas pourquoi elle lui faisait subir ce supplice ! Peut-être était-ce un jeu érotique ? En réponse, il enfonça ses ongles dans son dos brûlant.
La femme donna un nouveau coup de couteau au même endroit, creusant ainsi plus profondément la chair et ravivant davantage la douleur. Elle plaqua la bouche de sa victime contre son sein gauche pour étouffer ses cris. Comme tous les autres avant lui, il ne chercha pas à s'enfuir, ni à se débattre. La recette marchait toujours même après ces nombreuses années d'utilisation ! Elle tira subitement la tête de l'homme en arrière et lui trancha la gorge. Pendant que le flux d'hémoglobine s'écoulait , la femme colla sa bouche contre la plaie et but le liquide rougeâtre qui en sortait.
Lorsqu’enfin toute vie eut quitté le corps, elle releva la tête et essuya le sang autour de sa bouche avec la chemise de son défunt amant. Puis, à l'aide de son fidèle couteau de cuisine, elle l'ouvrit en deux pour en ressortir l'ingrédient fondamental de ses croque-monsieur : le cœur. Elle le porta à ses lèvres et but tout le sang qu'il contenait jusqu'à le rendre sec et racorni. La femme le plaça alors dans un bocal qu'elle conservait précieusement dans son armoire en attendant la prochaine proie qui tomberait dans sa toile...
Un cœur amoureux est dangereux pour celui qui le porte car il ne peut discerner la dure vérité sur la personne pour laquelle il bat.





(Illustration de Mars : https://marschuunibyou.wordpress.com/)